


En l'occurrence investisseur/épargnant, peut-on distinguer “le juste” de ”l'injuste", le civil du militaire et le public du privé ? Notre association a organisé une soirée débat ouverte à tous, sur inscription préalable, le 25 novembre dernier pour un éclairage sur ces trois aspects de la question. Elle s’est tenue à Paris et en visio, avec en introduction, une relecture du tableau de Delacroix “Combat du Giaour et du Pacha” d'après Lord Byron (ci-dessus).
Trois intervenants, trois points de vue pour éclairer une question épineuse
Bernard Bourdin, Dominicain, a ensuite proposé son analyse, en 3 étapes, de la doctrine de la « guerre juste » dans la tradition chrétienne. Pour St Augustin, afin d’être qualifiée de juste la décision d’entrée en guerre est du seul ressort du chef de l'État, repose sur une juste cause -se protéger d'une agression)- avec, pour but, le retour à la paix. St Thomas d’Aquin reprend ces conditions en précisant que la guerre doit viser à faire triompher le bien commun et non des causes cachées. Enfin, Francisco de Vitoria étend le concept aux diverses manières de combattre dans le contexte de la conquête par les Espagnols du Nouveau Monde et des massacres qui y sont perpétrés. Pour Bernard Bourdin, la guerre totale moderne posant des questions éthiques complexes, un renforcement de la réflexion sur le droit de défense des peuples est préférable au fait de réduire la guerre au simple niveau technologique ou de la rejeter complètement.
De son côté, ingénieur en chef de l'armement, Guillaume Houël détaché à l'Occar, a présenté une discussion sur la distinction entre les technologies civiles et militaires, expliquant comment ces 2 domaines s'imbriquent de plus en plus dans les systèmes modernes. En utilisant l’exemple du drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), il a tout d’abord évoqué le fait que la frontière civil/militaire s’efface dans les faits puisque les systèmes modernes mêlent indissociablement composants civils et finalités militaires et les entreprises qui les conçoivent fonctionnent elles-mêmes en logique duale. Pour lui, cette hybridation n’est pas seulement technique mais industrielle puisque ce n'est plus le militaire qui irrigue le civil, mais les technologies civiles qui conditionnent aujourd'hui la supériorité opérationnelle. Enfin, il a insisté sur le fait que cette dualité devient un instrument de puissance stratégique dans la mesure où d’une part le contrôle technologique sert de levier économique et politique (cf. la réglementation ITAR américaine) et d’autre part les conflits hybrides montrent comment des moyens civils sont utilisés pour produire des effets militaires tout en restant sous le seuil de la guerre ouverte. Selon lui, la question éthique ne peut donc plus se limiter à l'objet technologique mais doit se concentrer sur sa finalité et ses utilisateurs.
Enfin, Directeur de la gestion cotée chez Mirova, promotrice de "Defense Bonds" dans un "position paper" paru en juin 2025, Hervé Guez a analysé le financement de l'industrie de la défense dans le contexte de l'investissement responsable, expliquant les défis posés par la distinction entre armes interdites et/ou controversées. Il a souligné que les politiques d'exclusion ESG actuelles ont eu relativement peu d'effet car les grands groupes industriels cotés ont des ressources suffisantes pour ne pas avoir besoin de financement privé. Il a néanmoins proposé la création d'un mécanisme d'obligations de défense européennes pour contrôler la finalité des financements, reconnaissant que la souveraineté nationale complique la mise en œuvre d'un cadre européen unifié.
Géopolitique, droit international, technologies... les questions des participants
Les échanges avec la salle ont élargi le cadre de réflexion. D'abord, celui de la transformation du contexte géopolitique ; plusieurs participants ont ainsi souligné que le droit international, déjà fragile, semblait aujourd’hui reculer face à la résurgence de grandes puissances impériales – Russie, Chine, États-Unis notamment – et à leurs stratégies de domination. D'où, des "casus belli" inédits, voire inopinés : leurs nature, forme, identification et en particulier, la distinction entre "agresseur" vs "agressé" changent, ne vont pas de soi.
La discussion a porté sur l’évolution des conflits rendue possible par les nouvelles technologies ; les guerres hybrides, le détournement d’objets du quotidien à des fins militaires, les guérillas (qui viennent gommer la distinction armées de métier / population civile), le développement d'armes de plus en plus « autonomes » (des drônes de surveillance guidés à distance aux drônes « tueurs ») ont été évoqués comme autant de facteurs remettant en cause les formes « classiques » des conflits armés.
Dans ce contexte de profondes mutations des situations bellicistes, peuvent aiguiller la réflexion du "citoyen éclairé" sur un sujet aussi complexe les informations rendant compte de : la finalité des armements, leurs conditions d’emploi, la responsabilité politique qui encadre l’usage de la force. Notamment, Investir dans la défense peut alors relever, selon les situations, d’un renoncement assumé ou d’un devoir civique, dès lors que défendre sa souveraineté et ses valeurs est en jeu.
En tout état de cause, les nombreux échanges ont montré qu’un financement responsable de la défense ne pouvait être pensé indépendamment d’une réflexion plus large sur ces nombreux, la liste n'étant pas exhaustive, aspects connexes.
Jérôme Courcier, Pdt d'E&I et Christine Ceza, juriste, bénévole d'E&I